LE BLOCUS, L’INFLATION ET LA VIE QUOTIDIENNE

Vente de garage

Le blocus américain contre Cuba et la pandémie COVID19 ont des conséquences énormes sur l’économie cubaine. Les premières victimes en sont les citoyens cubains. Les services que Cuba offre à l’étranger sous forme de brigades de personnel de santé, d’instituteurs, de professeurs et d'entraîneurs de sport représentent la plus importante source de devises étrangères. Les brigades médicales sont les plus connues. Elles sont actives dans une dizaine de pays via des contrats bilatéraux. Sous la pression de Trump, des pays comme le Brésil, la Bolivie et l’Equateur ont résilié leur contrat. 
Le tourisme est la deuxième source de devises. La pandémie COVID19 a complètement mis ce secteur à l’arrêt depuis 2020. La troisième source de revenus est constituée par “les remesas”, c'est-à-dire l’argent que les familles et connaissances envoient à Cuba depuis l’étranger.  L’ex-président Trump a aussi cherché à bloquer cette source de revenus. Il a plafonné le montant qu’on pouvait envoyer à 1000 dollars par trimestre. Le coup le plus dur a sans doute été, en 2019, l’interdiction pour la Western Union de transférer de l’argent à Cuba. On estime que l’année précédente entre 900 millions et 1 milliard de dollars ont été transférés à Cuba, soit près de 150 EUR par cubain.  

L’assèchement de ces sources de revenus a plongé Cuba dans la plus grave crise économique depuis la chute de l’Union Soviétique qui était alors son partenaire commercial le plus important. Actuellement, Cuba manque presque de tout, alimentation, médicaments, matières premières. Cette situation force le gouvernement à choisir dans quels secteurs investir les devises existantes. Les soins de santé et l’enseignement -gratuits tous deux- ne sont pas mis en question. En pleine crise de la pandémie, le gouvernement a investi des millions dans le logement et l’alimentation des personnes placées dans un centre de quarantaine après un contact à risque. Et comme Cuba a appris à “se tenir debout”, tous les projets de recherche dans le secteur bio-pharmaceutique ont été suspendus pour pouvoir développer des vaccins contre le COVID 19 le plus rapidement possible.

Le manque de devises étrangères a forcé le gouvernement à faire appel aussi au capital privé des citoyens. Il voulait empêcher que les devises en possession des particuliers ne disparaissent vers l’étranger. C’est pourquoi les Cubains qui possèdent des devises via les “remesas” ou via le tourisme, peuvent les placer sur un compte en devises MLC. Cette Monnaie Librement Convertible est une unité monétaire qui vaut un dollar. Avec une carte bancaire MLC, le citoyen peut faire des achats dans les magasins MLC où le gouvernement garantit une offre plus large de biens (importés) comme des produits alimentaires et des équipements ménagers. Les revenus de ces magasins MLC doivent permettre au gouvernement d’offrir à chacun les biens de base à des prix contrôlés et ce en monnaie nationale, le peso. Le gouvernement a décidé à contrecœur de limiter la vente des magasins MLC contre des paiements avec la MLC carte en sachant bien que beaucoup de cubains n’ont pas de devises et donc pas accès à ces produits. Cette mesure est fort critiquée par la population.

L'objectif sous-jacent peut sembler bon mais en pratique les citoyens ne voient pas d’amélioration. Ils continuent à voir des magasins vides avec de longues files d’attente et des prix élevés. En réponse à ces critiques, le ministre de l’économie, Alejandro Gil Fernández , s’est justifié le 8 février 2022 : « Sans ces magasins MLC, la situation économique du pays serait encore pire. Grâce aux gains tirés de ces magasins MLC , le gouvernement a pu payer, en 2021, l'approvisionnement en produits de base qui étaient accessibles en peso national pour l’ensemble de la population ». C’est une mesure de justice sociale, déclare A. Fernandez, car elle permet la redistribution des devises de quelques citoyens par la fourniture de biens de consommation de base à tous les citoyens. Le ministre ajoutait encore que la vente dans les magasins MLC est une mesure temporaire qui sera supprimée quand l’économie nationale sera rétablie.
Il y a cependant des choses qui restent incompréhensibles pour les cubains. Il est  tout à fait acceptable que des produits venant de l’extérieur achetés avec des devises soient également proposés à la vente à Cuba dans la valeur équivalente en MLC ou en peso national. Mais cela ne fonctionne pas tout à fait comme ça. Un produit national comme le rhum est maintenant uniquement disponible dans un magasin MLC. On peut cependant en acheter en peso national dans de petits magasins, à la porte d’une maison. Les prix sont plus élevés : 1200 pesos pour une bouteille de rhum. Cela veut dire que ce vendeur a acheté un stock de rhum dans un magasin MLC et qu’il le revend en peso national à un prix beaucoup plus élevé. 

Pour les gens qui n’ont pas accès à ces devises, les temps sont durs. La rareté de tout et n'importe quoi a fait grimper les prix en flèche. L’inflation est énorme. Un euro peut s’échanger au cours officiel de 27 pesos. Mais en rue, ce même euro peut valoir jusqu’à 108 pesos. Une canette de soft s’achète à 120 pesos, environ 4.5 EUR au cours officiel. Qui peut encore s’offrir cela !  Isel est incapable de travailler après avoir subi une grave opération du cancer. Elle dépend des revenus de son fils qui travaille comme cuisinier dans le secteur touristique. La voisine de Isel est une mère célibataire avec 2 enfants qui doit s’en sortir avec un revenu minimum de 2400 pesos. 

L’alimentation est un sujet très sensible dans n’importe quel pays. Le gouvernement cubain a toujours essayé d’assurer à la population un panier de base de légumes, fruits, lentilles, viande. Avec le fameux “libreta” (petit livre), chaque cubain peut acheter à des prix bas un panier de base de produits alimentaires. Et bien que l’idée était de supprimer “la libreta”, la pénurie actuelle a forcé le gouvernement de maintenir encore un temps ce système. Mais ce panier de base de 5 kg de riz, 1kg de lentilles, 2 litres d’huile et 2 paquets de café, ½ poulet et soit du yuca ou de la patate douce, doit être complétée par ce qui est disponible sur le marché à des prix élevés.

Les prix élevés amènent de grands mécontentements. Les cubains sont habitués aux longues files d’attente mais ce qui choque de nombreux cubains, c'est l'inégalité sociale croissante. Les pénuries et les prix élevés suscitent la jalousie envers les cubains qui peuvent mener une vie agréable. Ce mécontentement n’a rien à voir avec la politique, mais tout avec la lourde crise économique d’aujourd’hui. Le remède le plus important est la hausse de la production nationale, un des objectifs principaux du gouvernement de DIaz-Canel. Le tourisme peut reprendre maintenant que la crise corona est sous contrôle mais la reprise de l’économie va durer plusieurs mois. Les cubains vont devoir encore supporter cette situation difficile. 

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