Entretien avec Helen Yaffe, maître de conférences en "histoire économique et sociale" à l'université de Glasgow, spécialisée dans "Cuba et l'Amérique latine". Elle est également l'auteur du livre "We are Cuba" et de la vidéo "Cuba's Life Task - Combatting Climate Change".
En ce moment, les Cubains sont confrontés à d'énormes pénuries. Comment l'expliquer ?
La situation économique de Cuba s'est fortement détériorée depuis 2019. C'est le résultat direct des politiques de l'administration Trump. L'un d'eux était l'activation de la section 3 de la loi Helms-Burton, qui a toujours été suspendue par les présidents précédents. Cet article permet aux citoyens américains de porter plainte contre toute personne profitant des propriétés alors nationalisées à Cuba. Cette mesure est une menace pure et simple pour toutes les entreprises étrangères qui souhaitent investir à Cuba. Il ne s'agit pas de porter de nombreux cas devant les tribunaux ; l'objectif est de les dissuader et de les décourager d'entamer des relations économiques avec Cuba. Autre mesure : les pétroliers qui transportent du pétrole vers Cuba se verront infliger une amende par les États-Unis. Lorsque cette mesure est entrée en vigueur, un pétrolier qui se trouvait déjà dans un port cubain a immédiatement fait demi-tour.
Toutes ces mesures ont plongé Cuba dans une crise économique imposée de l'extérieur. Cuba a dû trouver d'autres fournisseurs de pétrole, par exemple, mais à des prix beaucoup plus élevés. Au total, l'administration Trump a imposé plus de 243 nouvelles restrictions et sanctions. Les conséquences sont un accès encore plus restreint aux marchés financiers, de nouvelles restrictions sur les relations commerciales et moins d'espace budgétaire pour le développement social et économique du pays. Tout cela a maintenant conduit à des déficits importants dans tout et n'importe quoi. Pour donner une idée : Cuba a la capacité d'autoproduire entre 60 et 70 % de ses besoins en médicaments. En raison de ces sanctions, Cuba ne produit plus qu'un tiers de ce dont il a besoin.
Un autre exemple est l'approvisionnement limité en pétrole, qui fait que le pays connaît à nouveau des coupures de courant, qui peuvent atteindre jusqu'à huit heures en dehors de La Havane. Non seulement les lumières s'éteignent, mais aussi les réfrigérateurs, les ventilateurs ou la climatisation, la télévision, etc. La situation est extrêmement difficile. Quiconque connaît un peu Cuba sait que cette situation n'a pas lieu d'être. Cela n'a rien à voir avec les mauvaises politiques du gouvernement. Ces pénuries et les souffrances qui les accompagnent sont purement imposées de l'extérieur. Ces déficits pèsent également sur le gouvernement cubain pour maintenir le libre accès à l'éducation, aux soins de santé et à la culture.
Quelle est la position de l'Union européenne sur le blocus ?
Immédiatement après l'adoption de la loi Helms-Burton en 1996, la Communauté européenne, l'ancêtre de l'Union européenne, a adopté la loi 2271/96, également connue sous le nom de statut de blocage. Celle-ci interdit aux entreprises européennes de se conformer ou de mettre en œuvre la réglementation en matière de sanctions d'un pays tiers (en l'occurrence, les États-Unis). Après des consultations diplomatiques, le président de l'époque, M. Carter, a suspendu l'article 3 susmentionné. L'activation par le président Trump a été suivie d'une vive condamnation par la haute représentante de l'UE de l'époque, Federica Mogherini. L'UE dit chercher des moyens de mieux protéger les entreprises européennes contre les sanctions américaines, mais aucune action décisive n'est prévue. En d'autres termes, le fait que les États-Unis imposent unilatéralement leurs propres lois sur les sanctions aux entreprises situées en dehors des États-Unis (extraterritorialité) érode l'autonomie de l'UE en son cœur. C'est un constat douloureux pour l'Europe.
Que faut-il penser des banques qui refusent les transferts d'argent vers Cuba ?
Il est un fait que la plupart des banques refusent de transférer de l'argent à Cuba. Nous l'avons observé récemment après les grands incendies de réservoirs de stockage de pétrole à Matanzas. Les banques ont même refusé de transférer des fonds d'aide d'urgence à Cuba.
Cette situation qui existait déjà avant la présidence de Trump s'est aggravée lorsque celui-ci a placé Cuba sur la liste des pays soutenant le terrorisme, à peine une semaine avant la fin de son mandat. L'actuel président Biden n'a encore pris aucune initiative pour annuler cette mesure. Les conséquences sont énormes : de plus en plus de banques ont coupé leurs liens financiers avec Cuba. Ils ne veulent pas risquer d'être accusés par les États-Unis de complicité avec le terrorisme. En conséquence, les entreprises et le gouvernement cubains sont coupés des principales institutions financières internationales.
Il n'en reste pas moins que les banques qui ne transfèrent pas d'argent à Cuba violent leur propre législation européenne en le faisant. Comme indiqué, la loi de blocage interdit le respect et la mise en œuvre des lois sur les sanctions étrangères. Les banques vont même jusqu'à refuser des paiements en Europe si le mot "Cuba" est mentionné sur le transfert. Ce dernier point n'a aucun sens et constitue une violation flagrante du droit des citoyens à un service bancaire de base.
En Belgique, nous appelons à l'envoi d'un courriel de protestation aux PDG des banques et au ministre des finances.
Vous soutenez la campagne 1c4cuba.eu. En quoi consiste cette campagne ?
Nous voulons défier les banques. La campagne a été lancée en Grande-Bretagne, mais elle est déjà soutenue par des organisations de solidarité dans d'autres pays, comme l'Irlande, l'Allemagne, la France et aussi la Belgique.
Nous recherchons des centaines de personnes pour transférer un petit montant, disons un euro (centime), sur un compte dans un autre pays européen, clairement marqué "Cuba". La plupart des banques vont refuser ce paiement. L'étape suivante consiste alors à demander aux banques une explication, le mieux étant une réponse écrite. Cela permet de déposer une plainte auprès de l'organisme national de surveillance des banques. Chaque plainte doit faire l'objet d'une enquête, ce qui impose aux banques des délais et des coûts supplémentaires. De cette façon, nous exerçons une pression maximale sur les banques pour qu'elles ajustent leurs politiques.
La campagne 1c4cuba.eu vise le même objectif que celui avec lequel la Coordination pour la levée du blocus fait actuellement campagne.