Extrait d’un interview de Salim Lamrani avec Ignacio Ramonet, Directeur de l’édition espagnole du mensuel Le Monde diplomatique (Études caribéennes - 07 07 21).
Salim Lamrani : Ignacio Ramonet, comment expliquez-vous la persistance du conflit entre Cuba et les États-Unis trente ans après la chute de l’Union soviétique ? Quelles sont, selon vous, les véritables raisons qui motivent la politique hostile de la Maison-Blanche à l’égard de Cuba ?
Ignacio Ramonet : C’est une question très pertinente que de nombreuses personnes doivent se poser. Comment se fait-il que les États-Unis, au bout de soixante ans, alors que des présidents très différents se sont succédés, maintiennent une hostilité aussi forte à l’égard de Cuba ? Pourtant, la Révolution cubaine a eu lieu en 1959 et l’Union soviétique a disparu en 1991. Dans le même temps, les États-Unis ont fait la paix avec le Vietnam, où ils ont conduit une guerre qui leur a coûté des dizaines de milliers de morts, une guerre qui a duré plus de quinze ans. Ils ont également fait la paix avec la Chine populaire qu’ils n’avaient pas reconnue pendant très longtemps. Cette hostilité ne semble pas s’atténuer, alors que l’on pensait qu’avec l’arrivée au pouvoir de Joe Biden les dernières sanctions prises par Donald Trump allaient être très rapidement supprimées.
Je pense que l’une des réponses – il y en a d’autres – est que Cuba est devenue pour les États-Unis tout au long de ces soixante ans une véritable question de politique intérieure. En Floride se situe une communauté de plus d’un million de Cubains, qui sont très enracinés dans cet État important, comme nous avons pu le voir lors des dernières élections américaines. La Floride compte près de 30 grands électeurs et c’est l’un des Etats qui en compte le plus. Cette communauté est très solide. Dans les premières années qui ont suivi le triomphe de la Révolution, tous les grands entrepreneurs, toutes les grandes fortunes, tous les grands propriétaires terriens se sont installés à Miami. À l’époque, la Floride était un petit État. Miami était une petite ville balnéaire. C’était l’équivalent de Saint-Tropez, ce n’était même pas Nice. Aujourd’hui, c’est devenu le plus grand port de croisière au monde et l’un des plus importants ports commerciaux au monde. Miami est désormais une ville extrêmement peuplée, économiquement très dynamique et elle est très largement contrôlée par les Cubains. Le maire et les principales autorités sont Cubains ou d’origine cubaine. Par ailleurs, la Floride envoie des parlementaires aussi bien au Sénat qu’à la Chambre des représentants. C’est donc une question très nationale. Cette communauté fait tout pour que l’on ne puisse pas oublier ses revendications, malgré le temps qui passe. Elle maintient la blessure des relations américano-cubaines ouverte.
Le seul Président qui a avancé – plus qu’aucun autre – dans une direction de changement de politique est Obama. Hillary Clinton était la secrétaire d’État. Le principe était simple : une politique qui n’a pas marché pendant soixante ans ne marchera pas davantage. Obama avait dit à plusieurs reprises qu’il recherchait le même objectif, c’est-à-dire la fin de la Révolution cubaine, mais d’une autre façon. La tactique serait celle du « baiser de l’ours ». En d’autres termes, en envoyant des touristes et en faisant des affaires avec Cuba, comme cela a été le cas avec le Vietnam, le système finira par changer de nature.
Interview complète : Études caribéennes, https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/21509